ATLAN. L'un des plus beaux dessins jamais exécutés par ce jeune artiste informel ; une œuvre singulière où le noir n'est jamais silencieux.


Atlan


ATLAN Jean. ATLAN (Jean-Michel, dit).

Composition polychrome

Sans titre, représentatif de la période dite « classique », la plus aboutie de l’activité de l’artiste.

Pastel sur papier, sans date [1958-1959], signé en bas à gauche.


UN SUPERBE DESSIN ORIGINAL EN COULEUR exécuté au pastel provenant de la collection d’André SCHŒLLER Fils, collectionneur réputé et un remarquable expert en tableaux modernes, notamment de l'œuvre du peintre Jean-Michel ATLAN, et arts premiers. Il fut l’un des premiers à présenter Jean-Michel Atlan aux illustres collectionneurs.


Jean-Michel Atlan, le poète-dessinateur

L’œuvre picturale de Jean Atlan (Constantine, 1913–Paris, 1960) dans l’évolution de la peinture contemporaine est inclassable. C’est une œuvre que l'on peut qualifier d'informelle, profondément créative et singulière dans sa facture, loin de l'abstraction géométrique d'alors prônée par Mondrian. De nos jours encore, il demeure un peintre « inclassé » dont le style est immédiatement reconnaissable, identifiable.
Pastelliste exceptionnel, comme en témoigne cette œuvre sur papier, Atlan redonne à l’art du pastel, négligé depuis des décennies, sa juste valeur dans l'art moderne. (Cf. Polieri).
Ce très beau dessin, puissant et tout en rythme graphique des formes, est réalisé au bâtonnet pastel et à la craie blanche, ce qui n’autorise aucun repentir (l'impossibilité de revenir dessus, d'effacer, de recommencer) et traduit l'inspiration artistique immédiate.
Si le cerne chorégraphique et sombre, voire charbonneux, nous est familier (courbes hérissées de noir), il contraste avec des à-plats de couleurs chaudes, crayeuses : l’ocre orangé, l’ocre rouge, le jaune doré doux, le rouge mat et le bleu profond (des couleurs prédominantes dans l’œuvre d’Atlan). On remarquera, par exemple, un vert émeraude inattendu, d'une noble venue, une couleur pastel rare dans l'œuvre picturale du peintre et poète, et l'on observera également, qu'avec génie, – parce qu'il est un artiste possédant les moyens supérieurs pour le manifester –, les couleurs sont traités de façon à faire jouer différemment la matière afin de l'ennoblir (Atlan part souvent d'une tache de couleur et ne surajoute qu'ensuite le trait noir).
Dans la présente œuvre, sont suggérées des formes primitives, ni abstraites, ni figuratives. Par sa position centrale, une forme saillante, vivace, totémique (évoquant une tête, un masque), est assiégée d'insistants éclairs, épais et rugueux, desquels surgissent, en sa fulgurance étonnante, des flaques étroites de lumière qui créent un poudroiement lumineux.
Puis le rythme – inventeur de formes –, se brise, l'efficacité de foudre de certaines apparitions se complique, se conjure, l’artiste doit lutter pour redonner unité et simplicité à son œuvre déjà admirablement sculptée.
C’est cela la puissance incantatoire, une féérie transfigurante, pourrait-on dire, de l’écriture hâtive, créative d’Atlan, l'intensité de vie et la force de pensée supérieure, une rage iconoclaste du poète-dessinateur*.

Une œuvre singulière où le noir n'est jamais silencieux

C’est à travers des moyens picturaux saisissants que l’artiste cherche à nous atteindre, son univers est à la fois tendresse et cruauté, il est né d’un combat singulier, obsédant, étrange et cependant communicable ; c’est un univers riche, magique et mystique, envoûtant, qui exclut la dimmension humaine, mais où nous pénétrons souvent avec une heureuse facilité.

*Jean-Michel Atlan avait une très forte culture littéraire. Il s'est consacré à la poésie avant la peinture. Le Sang profond, c'est le titre du recueil de poèmes illustrés qu'il publia en novembre 1944 (comme un adieu à la poésie), trois mois après la libération de Paris, et sa propre libération de l'hôpital psychiatrique.



Date : dessiné en 1958-1959

Se situant dans la période dite « classique » (1956-1959), la plus aboutie de l’activité de l’artiste, son style s’est affermit, épuré, et se concentre sur des motifs d’une grande élégance, qui évoquent librement des figures dansantes au moyen d’arabesques aux couleurs chaudes cernées de noir, contrastant avec des arrière-plans lumineux.

« En 1956, Atlan atteint la plénitude de ses moyens avec des tableaux d’une ampleur rare. Les formes sont beaucoup plus abstraites tout en étant extrêmement allusives et morphologiques. En 1957, Atlan se met à faire une étonnante belle peinture, raffinée avec des tons précieux. » (Michel Ragon. Atlan, mon ami 1848-1960, Éditions Galilée, 1989).

LE DESSIN EST PRÉSENTÉ DANS SON BEAU CADRE PLAT D’ÉPOQUE.

Cette œuvre peut s’insérer dans un intérieur moderne comme un élément d’exception. 


Inscriptions :

Le dessin n’est pas titré [untitled]. Atlan prend le parti de ne pas donner systématiquement un titre trop simple, trop réducteur, trop stérile à ses œuvres, afin de laisser à l'imagination un libre choix d'interprétation.
À propos des titres qu’il donne à ses toiles, Jean-Michel Atlan affirme : « ce qui me paraît accompagner mon tableau au mieux, c’est une suggestion poétique à mi-chemin entre ce qui risquerait d’épaissir, ou d’éclaircir, le mystère de mes formes ». (Cf. Polieri, p. 642).

Le dessin n’est pas localisé et il n’est pas daté. Le dessin est signé en bas à gauche.

Matériaux et techniques :

La technique picturale utilisée est mixte. Une jolie pièce au bâtonnet pastel (tendre et sec) et rehaussée à la craie blanche, sur un papier grand format à grains veloutés, un vergé beige dans un grammage élevé.

Papier velouté : Apprêt donné au papier à l’aide de feutres à tissage spécial. Felt finish

Dimensions : L. : 55 cm ; l. : 46 cm (sans cadre)

« … Les pastels et craie de couleur d'Atlan ont en général deux formats : 55 x 46 et 32,5 x 25 [cm]. » (Cf. Michel Ragon, Atlan mon ami 1948-1960, chapitre « Atlantes », p. 173)

État : Excellent. Aucunes altérations variées (plis, froissures, déchirures, taches ou lacunes).


HISTORIQUE – PROVENANCE

a)Collection André SCHŒLLER Fils, Collectionneur et expert en œuvres d'art.

b) – Collection particulière française DE LARUE, probablement acquit auprès de celui-ci en 1976.

c) – Conservé à Paris dans une collection particulière française jusqu’à nos jours. Transmis par descendance familiale. Ce dessin a donc échappé au catalogue raisonné, nullement exhaustif, de Jacques Polieri.

« André Schœller, expert bien connu des quartiers de Drouot et Saint-Germain-des-Prés, est décédé le 1er décembre 2015 à l’âge de 86 ans à Provins où il s’était retiré. Fils du célèbre expert André Schoeller, un grand spécialiste notamment de Corot, André Schoeller fils ouvre, en 1954, une galerie rue de Miromesnil. Il est l’un des premiers à présenter Jean-Michel Atlan, Castillo, Jean Messagier, Paul Rebeyrolle ou encore Pierre Tal-Coat. Il devient par la suite un expert de l’œuvre d’André Lanskoy dont il réalise le catalogue raisonné. Il est également expert en art primitif, avec Charles Ratton et Guy Loudmer, et de tableaux lors des ventes aux enchères Renan, Louis Carré et Dora Maar. Il avait dispersé sa collection d’art africain et amérindien à Drouot en décembre 2014. » (Connaissances des Arts, 2015)

Fils du célèbre expert André Charles Schœller, un grand spécialiste, notamment de Camille Corot, et demi-frère du marchand d'arts André Pacitti (†2007), il était devenu un expert aussi réputé que son illustre père.
À noter qu'en 1944, André Charles Schœller père, avait vendu sa galerie d'art, sise 13 rue de Téhérant Paris 8e, au jeune galeriste (un homme issu du métier d'art du livre) Aimé Maeght. Dans leur nouvelle galerie parisienne qui tenait lieu de manifestes esthétiques et des modes où le faste discret du copurchic d'antan est roi, le couple Maeght inaugurera son nouvel espace avec une première exposition consacrée aux dessins d'Henri Matisse Peintures, Dessins, Sculptures, du 7 au 29 décembre 1945.


Au revers du dessin, nous remarquons deux mentions manuscrites, deux provenances désignées dont l'une est datée : Schœller* et De Larue 1976, au stylo à bille Bic Cristal (encre de différente couleur) indiquant les noms d’anciens possesseurs du dessin (infra scriptus) :

(1) —  « Schœller » (le nom patronymique Schœller a été biffé de la main de De Larue, indiquant ainsi un changement de propriétaire).

(2) — « De Larue 1976 » (particulier non identifié).

Au dos du montage, se trouve une étiquette ancienne en papier doré, de forme rectangulaire, collée sur le dos du carton de fond. Une écriture manuscrite au stylo à bille Bic Cristal, encre bleue, nous indique un large numéro d’inventaire du marchand d'arts parisien André Schœller : « 8588 ».



Les années de dèche complètes

Dès ses débuts, ATLAN se placera d’emblée au premier plan de la scène artistique et s’imposera parmi les figures majeures de son époque.

En décembre 1944 a lieu sa première exposition de peinture à la librairie-galerie de l’Arc-en-Ciel, rue de Sèvres. Le public accueille favorablement son travail.

En 1945, Atlan se fait connaître grâce à Gertrude Stein qui lui achète de nombreuses œuvres et lui ouvre les portes de ses amis collectionneurs à Paris, Londres et New-York, tandis que Jean Paulhan orne son bureau aux Éditions Gallimard par l'une de ses toiles.

En 1947, chez un autre potentat du commerce de tableaux, il expose à la galerie Maeght : « Atlan œuvres récentes » (sur les mêmes murs, aux côtés de Matisse, Braque, Léger et Rouault !), préface et texte de Jacques Kober, 27 œuvres sont présentées au public. Les portes des salons et des galeries parisiennes s’ouvrent à lui.

Brouillé avec Aimé Maeght en 1948, brouillé avec la galerie Denise-René, temple de l'abstraction, après une remarquable exposition en février 1946 : « Atlan peintures récentes », 27 œuvres sont présentées au public, le succès qui avait effleuré les débuts d'Atlan s'éloigna et la disette gagna vite.
Sans galerie parisienne, n'exposant dans aucun salon, oublié des conservateurs de musée et des historiens d'art,
Atlan disparaît de la scène artistique parisienne et de ses modes. L'année 1949 marque le début de grandes difficultés matérielles pour le peintre. S'ensuivront huit années de dèche complètes, de dénuement le plus amer, la faim, la solitude.


Lorsque que vint le succès, après 1956…

Dans les années 50, Jean-Michel Atlan, considéré comme l’un des représentants les plus importants de la « Nouvelle École de Paris », jouit d’une forte reconnaissance en France, en Italie, comme au Japon, mais également en Angleterre et aux États-Unis.

À partir de 1956, l’œuvre d’Atlan bénéficie d’une reconnaissance croissante, elle est jalonnée d’expositions personnelles à Paris et en province (Galerie Bing, Cannes, novembre 1956 et novembre-décembre 1959 : « Atlan Détrempres et pastels »), puis Bruxelles pour le groupe international CoBrA* (Palais des Beaux-Arts, 16 mars-3 mai 1957), Londres (Kaplan Gallery, 9 avril-2 mai 1959). Incorporé dans les rangs de la « seconde, ou nouvelle, École de Paris », Atlan en devient l’une des figures les plus en vue et les plus recherchées.

*Le groupe CoBrA créé à Paris en 1948 et dissout en 1951.

Un peintre vrai, qui fut, aussi, un homme véritable

Le 12 février 1960, l’artiste de l'avant-garde décède subitement dans son atelier parisien au 16 rue de la Grande-Chaumière. Précurseur de l’art informel, Jean Atlan aura exercé une influence prépondérante sur toute une génération.


Expositions

Inconnu vu trop tôt, et reconnu trop tard

Au mois de mars 1960, est inaugurée à la Contemporaries Gallery de New-York son exposition où sont présentées ses dernières toiles, préfacée par Clara Malraux : « Hommage à Jean-Michel Atlan », une exposition à laquelle il avait travaillé jusqu’à son dernier souffle.

Ses œuvres d'art sont entrées dans les collections publiques françaises ainsi que dans de nombreux musées internationaux tels que la Tate Modern de Londres.

– 1948-1949 : La première importante exposition des œuvres d'art d'Atlan à Copenhague organisée par Michel Ragon, Salon Corner.

– 1955 : Exposition « L’École de Paris » à la galerie Charpentier dont il réalise l’affiche.

– 1956 : Date de l’inauguration à la galerie Bing de sa première exposition personnelle à Paris depuis 1947.

– 1963 : Rétrospective au Musée National d’Art Moderne, Paris, 22 janvier-17 mars. 

– 1964. Musée d'Art de Tel-Aviv, pavillon Héléna Rubinstein, Atlan, novembre-décembre.

– 1980 : « Atlan, œuvres des collections publiques françaises ». Centre Georges Pompidou, Paris.

– 1982 : IIIe hommage à Atlan, Copenhague, Salon Corner.

– 2020-2022 : La Libération de la peinture, 1945-1962, Caen, Mémorial de Caen. Une sélection de 75 peintures, dessins et sculptures, tous issus de la collection de la Fondation Gandur pour l’Art.


NOTES BIBLIOGRAPHIQUES

– Article paru dans Cimaise, 7e année, n° 48, Paris, Édition la Revue Cimaise, avril-juin 1960 (couverture d'Atlan en couleur).

– Bernard DORIVAL. Atlan. Essai de biographie artistique, Paris, Édition Pierre Tisné, 1962.

– Jacques POLIERI. Atlan – Catalogue raisonné de l’œuvre complet, Paris, Éditions Gallimard, 1996.

– Michel RAGON. Atlan, mon ami 1948-1960, Paris, Éditions Galilée, 1989.

– Michel RAGON. Le Regard et la Mémoire, Paris, Éditions Albin Michel, 1998, pp. 9-45.

– Catalogue Galerie Enrico Navarra, ATLAN peintures pastelles (sic) et détrempes, Paris, 1989.

– Catalogue Opéra Gallery, Art Informel, Le signe et le geste 1950-1970, Paris, novembre 2023, pp. 38-48.



Atlan 2

Au revers du dessin deux provenances désignées : Schœller (collection d’André SCHŒLLER Fils), et De Larue 1976, ainsi qu'un large numéro d'inventaire sur le montage.

Atlan 3

Atlan 4