Franck BOURDIS. Mon voyage en Angleterre l’an 1877

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BOURDIS (F.[ranck]).

Mon Voyage en Angleterre l’an 1877.

UN MANUSCRIT AUTOGRAPHE ORIGINAL calligraphié sur un papier vélin. Récit d’un voyage en Angleterre signé F. BOURDIS, sans lieu, [Paris], 1878. Le manuscrit est relié en plein maroquin rouge d'époque.


Un unique manuscrit autographe d’un Journal de voyage en Angleterre signé de la plume F. BOURDIS

Codicologie : Écriture personnelle. Une calligraphie anglaise (ou ‘ copperplate ’), une cursive soignée à la plume à l’encre marron sépia, sur un papier vélin à grammage élevé. Une belle écriture livresque, composée, très lisible, très régulière, maniériste et très bien formée. On y remarque des volutes, des courbes, des finales et des mouvements élancés, des formes gracieuses. L’élégance des formes est remarquable. Certaines initiales ou majuscules typographiques (A, D, E, M, P, S) d’une noble venue, sont souvent de toute beauté. Les formes sont tracées avec une grande sûreté de main. Le trait est sans repentir. Absence de réglures. UN BEAU TRAVAIL DE CALLIGRAPHIE.


Vendu


In-quarto ; en frontispice, une photographie originale colorisée à la main afin d’accroître le réalisme de la mise en scène et l’excentricité du personnage. Peinture à l’huile avec des rehauts de gomme arabique pour créer des textures et des effets de lumière. La photographie représente l’auteur en costume « Le Fou du roi Lear », accoudé sur le piédestal d’une colonne. La photographie est signée en bas à gauche FRANCK (partie sombre sur le piédestal).

3 gardes blanches volantes ; 1 page de titre et 46 pages foliotées de 1 à 46, le texte manuscrit folio recto & folio verso ; 3 feuillets blancs non chiffrés ; 3 gardes blanches volantes. Le corps d’ouvrage est monté sur des onglets en papier.


Un plein maroquin rouge, dos à nerfs richement orné, caissons doré aux petits fers dans le style du XVIIe siècle, filets or, filets or pointillés, un lion couronné (blason anglais) frappé entre-nerfs (d’or au lion de gueules, armé, lampassé et couronné d’or ; couronne héraldique de marquis), coiffe filetée or, palette gravée dorée en pied et en tête, titre or frappé au dos, encadrement de filets or à l’ancienne sur les plats, un double filet or sur les coupes, une large et riche dentelle dorée intérieure à la roulette, tranches dorées, une belle et très rare reliure d’époque signée de l’atelier « FOCK fils* ».

*Frédéric FOCK, relieur-doreur, d’origine allemande, arrivé en France sous la Restauration. Il exerça, 28, rue Mazarine à Paris. (Cf. Flety, Dictionnaire des Relieurs Français […], p. 72 & Charles Ramsden, French Bookbinders 1789-1848, p. 86).

Frederick Fock et Marie Rosine Albertine Knecht eurent deux enfants nommés Albert et Émile, qui pratiquèrent également le métier de relieur. Émile Fock naquit à Paris le 16 avril 1845. Dès 1871, il vécut et exerça le métier de relieur, 15, rue de la Bûcherie à Paris. Albert Fock naquit à Paris le 28 juillet 1848. Dès 1871, il vécut et exerça le métier de relieur, 27, rue Guénégaud à Paris.

Les reliures signées « FOCK » sont très rares. Les reliures signées « FOCK fils » sont rarissimes (deux exemplaires répertoriés incluant notre manuscrit).
 

Format bibliographique : L. 27 cm ; l. 20 cm



Présentation & zone de contexte

L’auteur a voyagé en qualité de simple touriste d’avril à juin 1877, au moment où éclate une crise constitutionnelle de la Troisième République française. De plein-pied dans un monde en profonde mutation, la révolution industrielle s'amplifie, la Grande Dépression de 1873-1896 jette dans la misère et sur les routes de l'émigration des dizaines de millers de personnes. L'Europe devenue trop petite, à l'étroit chez elle, les impérialismes découpent les continents dans leurs rivalités coloniales et rivalisent de zèle et de hâte dans leurs conquêtes.

Pour Franck Bourdis c’est un deuxième voyage en Angleterre (précisément le bassin de Londres). En effet, il écrit à la page 19 de son Journal à propos du palais de cristal (Crystal Palace): « Je reviens ici pour la deuxième fois: cela me paraît aussi beau que la première et pourtant six ans laissés à mon imagination auraient grandi à mes yeux un monument moins parfait que celui-là. ». On en déduit que le premier voyage aurait été effectué en 1871 à l’époque du soulèvement de Paris contre le gouvernement de Défense nationale en pleine guerre franco-prussienne. Remarquons qu'à cette époque, Londres est la ville industrielle (voire le pays) qui compte la plus grande pauvreté et précarité économique et sociale en Europe.

Ce précieux Journal est rédigé avec beaucoup de charme, d’humour et d’agrément. La qualité littéraire de la narration éclate dès les premières lignes du manuscrit, l’œuvre est intéressante du point de vue de la structure du texte, du choix des mots, des figures de style, du rythme et de la syntaxe. L’auteur n’hésite pas à inclure de nombreux vocables anglais dans la rédaction de son Journal, ce qui laisse à penser qu’il possédait une excellente connaissance de la langue anglaise et de la Grande-Bretagne.

En outre, cet unique manuscrit autographe offre de nombreuses descriptions et renseignements sur la vie et les mœurs des Anglais sous le rigorisme du règne de la reine Victoria. Les manuscrits complets de voyages en Angleterre sont très rare.


Analyse du corpus


ÉTAT DE CONSERVATION

Un très bon état de conservation général.

PROVENANCE

Collection particulière française.

CONTENU

Un unique manuscrit : il renferme l’intégralité d’un récit de voyage en Angleterre sous le règne de la reine Victoria.

DATE D’EXÉCUTION

L’année d’exécution du manuscrit est indiquée : [avril-juin] 1877.

TABLE DES CHAPITRES

Trajet

Londres : premières impressions

Divagations

Lettre à Mr D.

Simples réflexions.

Derby day

Oxford

ILLUSTRATION

En frontispice, une photographie originale colorisée à la main d’époque représentant l’auteur costumé en « fou du roi Lear », accoudé sur le piédestal d’une colonne et signée FRANCK (sur le piédestal). 

AUTRES EXEMPLAIRES conservés dans les fonds d’archives ou bibliothèques publiques

Aucun


ITINÉRAIRE DU VOYAGE

Trajet.

Départ de Paris pour Calais [dimanche 08 avril 1877]. De Calais à Londres, le voyage s’effectue de nuit.

Londres : premières impressions.

Arrivée sur le sol britannique direction la capitale [lundi 09 avril] : « J’arrive à 10 heures 40 du soir [Londres]. ». Franck Bourdis note dans son Journal ses premières impressions londoniennes : les becs de gaz qui illuminent un épais brouillard ordinaire, une métropole de trois millions d’habitants [intra-muros], une séance de nuit des membres de la chambre basse du Parlement, un manteau de fumée sur la ville, la Tamise et ses quais.

« Mardi matin 10 avril » (une information calendaire précieuse : quantième du mois), froid, pluie et ventre vide. Notre voyageur est descendu à l’Hôtel de Charing Cross. Après s’être restauré, il se hisse sur le siège d’un omnibus et part découvrir le centre de Londres : « Il faut manger et boire beaucoup dans ce pays où le soleil ne brille qu’au fond d’une bouteille de champagne ! ». (Voir p. 6).
Les jardins de ‘ Kensington ’ (mal drainés et sales), ‘ Rotten Row ’, la promenade à la mode dans ‘ Hyde Park ’ où l’on voit quelques amazones : « les femmes semblent, dans ce pays, mieux faites encore pour l’équitation que les hommes. » (Voir p. 7), la cohue de ‘ London Bridge ’ et de la place de la banque ‘ City ’ à quatre heures. Curieux, Bourdis monte au sommet d’un monument, une colonne commémorative d’un incendie, « haute et laide », afin de découvrir la ville dans son brouillard à perpétuité. Enfin, il nous livre une intéressante adresse au nom bien français : « Je recommande à mes amis un petit restaurant dans ‘ Beak street ’, appelé Blanchard : bon, simple et pas cher. » (Voir p. 9).

« Mercredi matin 10 heures » (voir p. 9). Une visite en fiacre (Cab), l’auteur prend un ‘ handsome ’, une petite voiture rapide (hippomobile urbaine) où le cocher est perché derrière la cabine du passager. Payer le conducteur d’après le chemin parcourut semble être une source d’abus. L’auteur recommande le petit « livre vert » indiquant le prix des courses (10 000 courses !), portant le titre : ‘ Moggs cab fare ’. Éloge du policeman poli et serviable et autres règles de bonne conduite à respecter en Grande-Bretagne. ‘ Leicester square ’ un quartier français ? L’auteur y court chercher une demi-tasse de café. Amère déception. Le quartier est ignoble et il n’a de français que le nom dans les guides ; quant au café c’est un affreux brouet noir. Pour conclure cette première partie, l’auteur recommande avec humour aux voyageurs français, de penser, de parler, de manger, de boire et se déplacer comme les Anglais, c’est-à-dire devenir plantigrades.


Divagations

« Je suis malade depuis huit jours. Aujourd’hui, je n’ai pu sortir. Il fait un temps épouvantable : pluie et vent… » (Voir p. 15). L’auteur met à profit ce temps de repos pour mieux décrire Londres, ville des constrates inattendus. Brouhaha, fumées industrielles, conglomerat de labeur, immensité de la métropole. Une rare et intéressante description du colossal palais de cristal, ‘ Crystal Palace ’, qui a malheureusement disparu. Son intérieur: un magasin, un café, un restaurant, ses vitres et ses longues colonnes de fer peintes en blanc et bleu, sa transparence et son jardin anglais au pied de la colline. ‘ Westmister ’ où dorment toutes les gloires authentiques de l'Angleterre, une grande chose, un magnifique écrin gothique lumineux dans un brouillard à perpétuité qui l’enveloppe et l’embrume. ‘ Cambridge ’, un véritable joyau du Moyen-Âge, inchangé, hormis les vélocipèdes. Discours sur le style et la beauté des Anglaises, la différence évidente des classes sociales, un sentiment de lutte pour rester en vie : « Toutes les forces vives d’un cockney [habitant des quartiers Est de Londres caractérisé par son langage populaire] sont employées au seul fait de rester en vie. On n’y voit qu’à la lumière du gaz, on ne se chauffe qu’au foyer plein de houille. » (voir p. 24), l’individualisme au sens courant : « Mr M… me disait encore : – En France, vous vivez ; nous, nous existons. Chacun doit s’occuper beaucoup de lui-même et de sa famille, s’il veut que tout aille à souhait. » (Voir p. 26).


Lettre à Mr D.

« Londres, le dimanche, s’ennuie autant que Paris » (voir p. 27). Une invitation au canotage. Quinze mille [sic] parcourus tirant bravement l’aviron sur la Tamise. Découverte de la beauté des rives du fleuve. Partout des bois aux chênes séculaires, de frais gazons, des collines et des vallons d’une douceur infinie, des châteaux royaux appartenant aux princes et aux riches de la métropole, des villages et chemins noyés dans un océan de verdure. Bourdis est enchanté de son invitation.

Lundi départ pour Douvres (Dover) sur la locomotive à vapeur grandes lignes (aux côtés du mécanicien) de l’Express*. La locomotive dirigée par le bras fort d'un mécanicien et chauffée à la houille anglaise, lançe sa fumée sur la campagne verdoyante semée de bourgades à 90 kilomètres à l’heures ! Un boulet de canon. Sortie de Londres, une superbe campagne comme un panorama varié à l’infini, fascination pour le train à vapeur, vitesse, mouvement de roulis, mouvement de tangage, un parcours bucolique à travers le comté du ‘ Kent ’. Arrivée à Douvres, une jolie ville côtière et portuaire : « … il faisait beau que je me suis cru un instant en France… » (Voir p. 33). Retour dans l'étonnante magie de Londres et ses fumées d’usines.

*L’ancienne compagnie ferroviaire LCDR : London Chatham & Dover Railway (1859-1923). 


Simples réflexions.

Le quotidien y est un instrument commercial : « Les journaux importants paraissent le matin à Londres ; le soir à Paris. Ici, c’est une question d’affaires ; chez nous, une question d’agrément. » (Voir p. 35). Cette reflexion n’est-elle pas une métaphore du Journal de voyage de Bourdis ? Suivent quelques remarques sur la difficulté de trouver une adresse (résidence) à Londres : « Il y a trois Princes square ’ dans Londres, et je sais un voyageur qui a mis trois heures à trouver son logis dans un des trois ‘ Princes square ’, pour avoir eu une adresse trop peu détaillée. » (Voir p. 36).

Il nous semble intéressant de nous attarder un instant sur les ‘ square ’ ou les beaux quartiers de Londres, mais auparavant un peu d’histoire.
Londres 1665, la terreur. Cité déserte où s'amoncellent les charniers. La peste noire tue plus de 100 000 personnes. L’année suivante c’est le grand incendie de Londres. Le feu se déclare dans une boulangerie et rien n’arrête sa terrible progression. Il ravage plus du tiers de la ville. La cité médiévale est détruite, une ville moderne peut être bâtie. Dans ces circonstances dramatiques, la métropole fait son entrée dans l’ère moderne.

Londres absorbe toutes choses, selon sa formule immuable.
La ' City ’ de Londres se transformant en un centre d’affaires, il devint de moins en moins à la mode d’y habiter et donc les populations riches s’installèrent à l’ouest de la ville. Là, les promoteurs eurent l’occasion de construire des maisons plus grandes, plus hautes disposées autour de grands ‘ square ’. Une opération couronnée de succès pour les aristocrates qui possédaient des terrains, le ‘ square ’ devint un bon moyen de faire fortune. Le principe est le suivant : le roi, Charles II, offre un terrain à l’un des ses courtisans. Celui-ci ou l’un de ses descendants s’adresse à un entrepreneur qui s’occupe de tout. L’entrepreneur engrange des revenus des maisons bâties et reverse une partie au courtisan. Cela continue de génération en génération et cela pendant un siècle au terme duquel la famille du courtisan récupère la pleine propriété du terrain et derechef… Les ‘ square ’, c’est-à-dire des maisons en terrasse (terraced house), facile d’emploi, étaient une invention intelligente, parce que la société fortunés voulaient que leurs maisons de ville est un air majestueux, un air de grand palais face à leurs ravissants parcs privés (square) dont eux seuls possédaient les clefs.
De nos jours ce système de rente immobilière est toujours en vigueur
.


Derby day.

Franck Bourdis se rend en omnibus (25 francs) à l’événement hippique de l’année, la prestigieuse course de plat de la saison, ‘ flat horserace ’, le ‘ Derby Day ’, une information précieuse qui permet de dater le voyage : quantième du mois, dans le comté du sud-est de l’Angleterre, le ‘ Surrey ’. En effet, le ‘ Derby d’Epsom ’ se tint à ‘ Epsom Downs ’ le 30 mai 1877 (Silvio, ‘ the winner of the Derby ’). Un spectacle grouillant, un évènement public plus frivole encore que chez nous, les ravissantes figures bien chapeautées, les toilettes claires, les bookmakers qui portent des costumes bizarres, la piste engazonnée, la course dans une ambiance échauffée, le ‘ lunch ’ à peu près invariable : homard, saumon, salade, jambon, rostbeaf, pâté à la viande plus une débâcle de bouteilles de Champagne. Un retour turbulent. Le ‘ Derby Day ’ seul peut faire excuser un pareil laisser-aller.


Oxford.

‘ Oxford ressemble beaucoup à Cambridge. Plus de collèges merveilleux peut-être. Les jardins sont plus soignés, les parcs sont des merveilles. ’ (Voir p. 43). Le ton est donné. La beauté des pierres patinées, gélives, dont sont faits les bâtiments et les monuments, lapides vivi, les parcs luxuriants aux chênes séculaires, les jardins aux pelouses toujours vertes avec une remarquable abondance de végétaux, les plus soignés du monde, les collèges d'élite, nombreux, les bibliothèques prestigieuses, par excellence le lieu du « loisir lettré » (otium litteratum), les élèves internes et leurs rituels scolaires, ainsi que d'illustres professeurs, ardents au travail et généreux, qui forment une vaste société savante, un pouvoir universitaire, une élite intellectuelle qui se recrute elle-même par l’élection.