CIXOUS. Chapitre Los
CIXOUS (Hélène).
Chapitre Los
Abstracts
et Brèves Chroniques du temps
I Chapitre Los
Paris, Éditions Galilée, 2013.
[Imprimerie Floch à Mayenne en janvier 2013]
In-8° ; 98 pp.-(4).
Tirage de tête enrichi d'un tiré à part : « À mes lisants », d'une lithographie couleur originale imprimée à l'atelier RLD Paris, ainsi qu'une page-double autographe originale de l’auteur.
Exemplaire broché de l’éditeur à l’état neuf, couverture rempliée crème imprimée en noir et rouge, non rogné, non coupé.
2 000 €
BIBLIOGRAPHIE
ÉDITION ORIGINALE éditée à 120 exemplaires signés par Hélène CIXOUS et accompagnés d’une lithographie couleur originale de Pierre ALECHINSKY.
Les 15 premiers exemplaires étant enrichis d’une double page autographe de l’auteur.
Tirage de luxe : Exemplaire n° 14.
L’aveu d’Hélène Cixous est sans ambages: « Personne, à ma connaissance, n’a réussi à mettre un doigt sur moi. » (Dedans, Grasset, 1969). Le ton de son œuvre est donné: incisif, original, audacieux, véhément, décidé. Assumer une autre façon de prononcer les êtres et les choses. Ne pas opposer la vie et la mort. La vie nous écrit.
Chapitre Los se présente comme de brèves chroniques du temps.
Los évoque aussi la figure de l’écrivain essayiste mexicain Carlos Fuentes (c’est vers 1968 que la narratrice et Carlos Fuentes se connaissent), un amour perdu, un amour vivant.
PRÉSENTATION
À mes lisants
« Ce livre est un chapitre du Livre-que-je-n’écris-pas. Il est le premier à s'être présenté mais, à la fin, il ne sera pas le chapitre un, j’en suis presque sûre, il n’y aura pas, entre tous les chapitres, de chapitre plus premier qu’un autre.
Il y a un livre que j’ai appelé Le-livre-que-je-n’écris-pas, dont je rêve depuis plus de trente ans. Il est le maître, le double, le prophète, presque le messie de tous les livres que j’écris à son appel. Ce livre me précède et me résume. Il rassemble toutes mes vies et tous mes volumes. Il me hante et me guide.
J’en ai souvent parlé à mes amis. Vous savez. Il fut toujours mon livre promis et donc désiré et désespéré, l’ombre devant tous mes pas. Je suis moi-même l’ombre de mon ombre. Il fallut à Stendhal se changer en un Henry Brulard pour écrire sa My Life, sa Ma Vie, en recueillant des morceaux de la vie d’Henry Beyle. On ne peut écrire le Livre My Life qu’en se détachant en pièces et se reliant en riant.
De ce livre Jacques Derrida me disait : celui que tu n’écris pas s’écrit autrement. J’aurais voulu le voir, un jour, avant de mourir. J’y renonçai. Je n’ai jamais voulu que lui, je n’ai jamais renoncé qu’à lui. Il ne m’a jamais quittée. Il fut comme un immortel qui n’aurait jamais connu de naissance. Et je n’ai jamais vu son visage de face. J’aperçois son éclat voilé, son dos indéchiffrable, debout sur l’étagère du ciel, sa silhouette élégante, tout à fait étrangère et familière, de revenant du futur. J’ai toujours imaginé qu’il viendrait, naturellement. Quand ? Après l’ensemble de toutes mes morts ? Juste avant, ou juste après, la dernière de mes morts.
Il m’aura donc toujours manqué les yeux pour le voir, les yeux voyants, vivants, capables de regarder en face sans larmoyer tous les visages du Visage de dieu-le-tout, autrement nommé My Life. (On comprend pourquoi Stendhal se présentant pour Beyle ne pensait « sa » « vie » que comme son étrangère)
Le Livre qui me contenait, moi et mes vies, était avec moi, devant moi, au-delà de moi, marchant comme une colonne diffuse, indistincte, plus moi-même que moi, comme une âme toute puissante privée d’enveloppe, une lettre trop nue, que j’aurais presque pu lire, mais autrement.
Ces ans-ci, je ne l’attendais plus. Je me faisais une résignation. C’est alors.
C’est toujours alors, et seulement quand on a traversé le désespoir, qui ne cesse d’espérer, et que l’on a atteint le calme, que l’Inattendu absolu arrive. Alors :
Ce livre-ci s’est présenté, d’un seul coup, " un beau matin ", entièrement écrit, flottant juste devant la fenêtre de mon bureau, clairement constitué, comme un rêve sorti à terme de la tête d’un rêve. Je l’ai rapidement recopié, sans le quitter des yeux, en conservant scrupuleusement ses indications, ses rythmes, ses moments de silence. Je l’ai trouvé. Tel que vous le voyez.
C’est un pétale du Livre-que-je-n’écris-pas. Un pétale. Détaché du tout de la fleur du Livre. Los, comme le dirait ma mère en sa langue allemande. Los : détaché. C’est-à-dire : arrivant : mobile : autonome : destinal. L’instant d’une vie. Un instant est toujours un présent. Ce n’est pas un récit. C’est un aujourd’hui même, quelles que soient sa date, son action, sa durée. C’est une synchronie. Un instantané symphonique : il se passe ici-et-maintenant, à toute vitesse. À sa condensation, à ses sursauts, à son éternelle jeunesse, à son allure précipitée de revenant de la mémoire, on pourrait le prendre pour un rêve. Il est entièrement vrai. Carlos est entièrement vrai. Est un instant.
Tout instant est également le présent.
C’est un pétale détaché de la fleur de ma vie.
Le détachement a eu lieu par accident. Le livre-chapitre-pétale, a été arraché à la fleur par le violent coup d’une mort.
En vérité, il doit sa mise en liberté littéraire littéralement à la mort. La vie que donne la mort, ou plutôt qu’elle rend, cette vie née de la mort, ce serait la littérature ?
Si Carlos n’était pas mort brusquement, mort de mort soudaine, emporté d’une heure à l’autre dans le fleuve du temps, celui qui est écoulement, il ne se serait peut-être jamais retrouvé vivant dans le monde des pétales de livre.
Soudain, ce matin-là, j’ai vu l’univers du Livre-que-je-n’écris-pas : c’est une infinité de présents. Il est structuré comme une fleur.
Dans cette fleur les pétales sont des pages non numérotées.
Le pétale est aussi une fleur. Il est à la fois une page qui fait partie d’un tout structuré et un individu détachable, une fleur de la fleur.
Mon éditeur me demande si je sais déjà quels seront les prochains chapitres. J’en aperçois quelques-uns, par la fenêtre, dis-je. Plusieurs sont presque détachés. Qu’ils vivent déjà, je le sens. Un coup de vent, pas moi, décidera, bientôt. »
Hélène Cixous