STENDHAL. Armance

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Armance : « On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait. »

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STENDHAL (Henri Beyle, sous le pseudonyme de).

Armance ou Quelques scènes d’un salon de Paris en 1827.

Paris, Urbain Canel, Libraire, Rue Saint-Germain-des-Prés*, N° 9, 1827.

[Paris, Imprimerie de Gaultier-Laguionie]

*Actuellement l'épanouissement de la rue Bonaparte constituant encore le parvis de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés.


3 tomes reliés en 3 volumes in-12° ; I. (1)-VIII [Avant-Propos]-177 pp. ;  II. (1)-191 pp., III/(1)-243 pp.

Un demi-cuir-de-Russie rouge coruscant à grains longs à coins, dos lisse richement orné de jeux de filets or et d’un fleuron or répété, filets or pointillés, armes dorées frappées en queue, tranches jaune paille mouchetées, une reliure d'époque. Un étui moderne bordé de maroquin rouge.

SPLENDIDES RELIURES ANGLAISES D’ÉPOQUE, D’UNE COULEUR VIVE ET D’UNE GRANDE FACTURE. UN MAGNIFIQUE EXEMPLAIRE D’UNE GRANDE FRAÎCHEUR, EN CONDITION « VANDÉREM ». Les très rares exemplaires connus sont souvent modestes, avec des rousseurs et des reliures communes, postérieures le plus souvent.

Nota Bene : Selon l'habitude des relieurs britanniques, les pages de faux-titres n’ont pas été conservées à l'époque.


Vendu


Quelques mots d'explication sur le faux-titre.

Jadis, les cahiers étant imprimés, pliés et collationnés, pour reconnaître facilement chaque volume, tout en protégeant la page du titre, l’imprimeur faisait précéder celui-ci d’un feuillet portant uniquement le titre de l’ouvrage. Ce feuillet était appelé faux-titre et pouvait être éventuellement supprimé lors de la reliure. Ce qui se pratiquait régulièrement dans certains pays, notamment en Angleterre*. En France, certains relieurs l’éliminaient, d’autres plus nombreux, le laissaient en place.

*Fernand Vandérem consacre au problème des faux-titres un article dans son ouvrage La bibliophilie nouvelle, Paris, Librairie Giraud-Badin, tome III, page 353.


Format bibliographique : 170 x 115 mm (c'est un exemplaire à grandes marges)


Noblesse oblige…

L’action du roman se passe à Paris, dans la haute société*, sous le règne de Louis XVIII, dans ces arènes que sont certains salons où l'on déchire à belles dents son prochain. Octave de Malivert, une taille élevée, beau, oisif, richesse oblige, âgé de vingt ans, nouvellement sorti de l’École polytechnique, se fait remarquer de sa jeune personne pour sa vive intelligence, mais aussi par un caractère taciturne, lunatique, dysphorique. Seul avec son dédain, aveuglé par son orgueil, hautain pour ses contemporains, vaniteux, énigmatique roué, il n’éprouve d’amitié sincère que pour une personne, une cousine de son âge (dix-huit ans), Armance de Zohiloff, une jolie jeune fille, une beauté russe, noble et pauvre, hélas ! Jeune homme étrange au demeurant, coléreux, taciturne, et dont les singularités augmentent du jour où il aime sa belle cousine, il n’avoue son amour à Armance que parce que, blessé à deux reprises lors d’un duel dans le bois de Meudon, et se croyant aux portes du tombeau, il accepte de trahir son serment : ne jamais céder dans sa vie à l’amour pour ne pas risquer d’en subir les effets. Guéri contre toute espérance, Octave essaie de rattraper son terrible aveu, sa honte légitime, mais Armance paraissant compromise pour lui-même, il l’épouse puis il décide de s'engager (avec l’esprit des croisades, Noblesse oblige), et mourir le sabre à la main au combat† pour la délivrance de la Grèce auguste, terre des héros, souillée par les Ottoman. Lors de son voyage, enveloppé par la mer Méditerranée, Octave feint la maladie et se donne lâchement la mort sans honneur, loin des ors de sa jeunesse et des combats glorieux de la célèbre bataille de Navarin, peu de jours après leur mariage abhorré et non honoré. Peu après, le marquis de Malivert étant mort, Armance et Madame de Malivert prirent le voile dans le même couvent.


Selon Stendhal seules les belles âmes sont capables de bonheur rare, celui d’aimer. Dans le premier roman d’Henry Beyle ce motif fondamental de toute l’œuvre est présent. Armance, à propos d’Octave, se pose une question qu’en une forme ou une autre on retrouve en tout personnage stendhalien : « Elle se demandait sans cesse : A-t-il une âme vulgaire ? » (Voir p. 63). Il n’y a pas d’amour dans les personnages stendhaliens sans l’espoir de connaître dans l’autre une belle âme. Le jeune personnage d’Octave de Malivert, par bien des aspects, annonce les héros des grandes œuvres d’après 1830.

*Pour Stendhal, « la haute société française est actuellement [en 1825] le repaire favori de l’ennui » (extrait d’un article pour le New Monthly Magazine, auquel Stendhal collabora souvent en qualité de chroniqueur et cité par Henri Martineau dans la notice d’Armance, in Stendhal, Œuvres, Bibliothèque de la Pléiade, tome I, p. 14). Dans Armance, roman du faubourg Saint-Germain, l’ennui est le fond de toile sur lequel se peint la triste histoire d’amour d’Octave de Malivert.

†Dans l’imaginaire nobiliaire, mourir dans son lit est une catastrophe car il faut mourir l’épée à la main, mais l’épée à la main au combat. C’est cela l’idéal de l'homme de cour.


Nous avons lu Armance.

DANS LE JEUX DES PASSIONS DU CŒUR ET DES MOUVEMENTS INTÉRIEURS DE L’ÂME, STENDHAL FAIT PREUVE, DANS CE PREMIER ROMAN, D’UNE EXCEPTIONNELLE FINESSE D’ANALYSE. ARMANCE, LA PROMESSE DES CHEFS-D'ŒUVRE À VENIR.


ORIENTATION BIBLIOGRAPHIQUE

PROVENANCE : Emblèmes de la Bibliothèque de Westport House (Irlande).


CETTE ÉDITION ORIGINALE COMPTE PARMI LES PLUS RARES DE LA LITTÉRATURE DU XIXe SIÈCLE.

– « L’ÉDITION ORIGINALE EXTRÊMEMENT RARE » (Claude Guérin [Librairie Giraud-Badin]), DU PREMIER ROMAN DE STENDHAL.

– « TRÈS RECHERCHÉ » (Clouzot, p. 257).

– Carteret, Le Trésor du Bibliophile Romantique et Moderne, t. II, p. 350 : « Ce livre, d’une grande rareté, a paru anonyme, il est imprimé sur papier vergé qui donne l’illusion d’un papier de Hollande. »

– Notice de Raymond Lebègue in Œuvres de Stendhal : Armance, Édition Champion, 1925. – Dans la préface de ce même volume André Gide avoue sa préférence pour ce roman de Stendhal.


– BnF, Stendhal et l’Europe, n° 245, p. 99 ; – Maurice Bardèche, Stendhal romancier, Paris, Édition La Table Ronde, 1947 ; – Georges Blin, Stendhal et les problèmes du roman, Paris, José Corti, 1953 ; – Auguste Cordier, Comment a vécu Stendhal, Paris, V. Villerelle, Libraire-Éditeur, 1900 ; – Henri Cordier, Bibliographie Stendhalienne, n° 70, p. 86 ; – Escoffier, Le mouvement Romantique 1788-1850, n° 648, p. 163 ; – Henri Martineau*, Le Calendrier de Stendhal, p. 225 ; – Jean Prevost, La création chez Stendhal, Paris, Édition du Sagittaire, 1942 ; – Vicaire, Manuel de l’Amateur de Livres du XIXe siècle, tome I, coll. 454.

*Henri Martineau, éminent spécialiste de Stendhal, fonda au début du XXe siècle l'une des plus célèbres librairies de Saint-Germain-des-Prés, située à l'angle des rues Bonaparte et l'Abbaye, la librairie Le Divan. Elle fut liquidée en 2015 par la gentrification et sa massive crasse ignorance. Remarquons également que le premier roman de Stendhal, Armance, fut imprimé et vendu à l'endroit même où la librairie Le Divan s'établie un siècle plus tard.


Cette note bibliographique renvoie généralement à ces deux publications :

Les travaux des fervents stendhaliens, ainsi que les bibliographies critiques sont considérables. L’édition de base est sans contestation celle de la Bibliothèque de la Pléiade, édition établie et annotée. Henri Martineau et Victor Del Litto : Correspondance de Stendhal, vol. I-III - Yves Ansel et Philippe Berthier : Œuvres romanesques complètes, nouvelle édition, tome I (Armance). Chaque œuvre est accompagnée d’une analyse critique, les notes et les textes annexes éclairent la pensée de Henri Beyle.

– Œuvres complètes de Stendhal, sous la direction de Victor DEL LITTO et Ernest ABRAVANEL, vol. I-L, Genève, Cercle du Bibliophile, 1967-1974. Le tome L comprend l’index et la bibliographie.

Citons aussi les notes de Julien GRACQ sur Stendhal in : en lisant en écrivant, Paris, José Corti, 1981, p. 17 sqq., ainsi que : [Stendhal]. Vie de Henry Brulard, Nouvelle édition établie sous la direction de Victor Del Litto et Ernest Abravanel, Genève, Cercle du Bibliophile, 1968.

« L’œuvre, en dehors de ses propres qualités, est particulièrement intéressante en ce qu’elle esquisse certains des thèmes qui s’affirment par la suite dans Le Rouge et le Noir et dans La Chartreuse de Parme. Ne trouve-t-on pas dans ce roman l’analyse impitoyablement pittoresque et mordante de la société de la Restauration, le jeu subtil d’un amour d’abord inconscient mais qui se révèle invincible ? et déjà l’on peut dire que Stendhal applique ici sur le vif les principes et les théories de son essai De l’amour. N’y trouve-t-on pas, enfin, les premières ébauches de ces extraordinaires caractères d’adolescents que seront Julien Sorel et Fabrice del Dongo ? » (Laffont-Bompiani, Le Nouveau Dictionnaire des Œuvres, p. 389).


Quelques mots sur Urbain-François-Louis CANEL, L'ÉDITEUR DES ROMANTIQUES.

Talentueux libraire et éditeur de 1823 à 1825 des poésies et proses de MM. Victor Hugo, Alfred de Musset, Honoré de Balzac, Charles Nodier, Alphonse de Lamartine, Alfred de Vigny, Eugène Sue et George Sand, à une époque où le talent de ces écrivains n’était pas encore apprécié par un large public. Urbain Canel fit faillite en juillet 1826* et fut noblement et définitivement ruiné en novembre 1834. Nous rendons hommage, ici, à cet éditeur pour son audace, pour son courage, pour le choix de ses écrivains, pour ses éditions raffinées, pour ses petits volumes imprimés sur papier vélin aux couvertures élégantes qui sont à l’image de la belle amitié qui liait l’auteur et l'éditeur.

*Pour gagner sa vie, Balzac décide d’abandonner la littérature et de se lancer dans les affaires. Il devient éditeur, entreprend avec le libraire Urbain Canel la publication des classiques illustrés, Molière et La Fontaine. C’est un échec commercial et nos deux entrepreneurs sont ruinés. Urbain Canel fait faillite en juillet 1826 et définitivement en 1834 ; faillites directement liées aux nombreux billets à ordre émis pour faire face aux demandes incessantes d’argent de sieur de Balzac.


ARMANCE, ou une chronique du temps présent

« Je serai lu en 1880 », « Je serai compris en 1935 ».

Huitième ouvrage et PREMIER ROMAN DE STENDHAL, écrit en trente et un jours à l’âge de quarante-trois ans. Henri Beyle commença à l’écrire en janvier 1826 et en acheva la première ébauche le 8 février. En septembre il allait reprendre en profondeur le manuscrit, cherchant dans ce travail un palliatif au chagrin causé par la brutale rupture de Clémentine Curial dite Menti (« On ne se console pas des chagrins, on s’en distrait » Armance) après une liaison passionnée. Le 10 octobre Stendhal a terminé son livre. Il n’aura plus ensuite qu’à le parfaire, le ciseler. Le roman parut anonyme en août 1827 et ne fut pas un succès commercial. Armance fut accueillie très froidement. On ne comprit pas l’énigme et la peinture des milieux choqua toute la société parisienne. Bien rares furent les journaux qui en rendirent compte, très rares aussi furent les acheteurs. L’œuvre demeura pendant de longues décennies ignorée du public français. C'est l'un des textes LES PLUS RARES DE LA LITTÉRATURE DU XIXe SIÈCLE.

Cette année 1827*, Stendhal la passe entre Paris et l’Italie pour moitié. À Paris, il réside à une nouvelle adresse : 6 rue Lepeletier, près de l’Opéra, puis au n° 1 de la rue d’Amboise jusqu’à son départ en Italie.

*L’année 1827 est marquée par le décès de Ludwig van Beethoven, ce génie universel de l’esprit humain. Comme le grand maestro, Stendhal était sûr de lui ; ouvrir de nouveaux cieux à l'homme.



Le 11 juin 1827, 1 rue d’Amboise, Stendhal signe le contrat d’édition d’Armance dont l’impression commence déjà dans les premiers jours de mai. Sitôt les dernières épreuves corrigées (mi-juillet), Henri Beyle part pour l’Italie et le livre paraît en son absence : « Ce fut rue d’Amboise, dans la belle chambre sur la rue Richelieu que le manuscrit, volume relié, fut vendu à M. U.[rbain] Canel et Joseph Buros et par lui payé 1.000 fr. » (Cf. : Henri Martineau, Mélanges intimes et Marginalia, Paris, 1936).


L’insuccès total

UN LIVRE TRÈS RECHERCHÉ PAR LA PAUCITÉ DE SON TIRAGE.

Le 18 août, Le Journal de la Librairie annonce : Armance, 3 volumes, 9 francs. L’édition se composera de trois volumes in-douze. L’ouvrage se vendra mal. Premier et unique tirage du premier roman de Stendhal à 1 000 exemplaires et double main de passe dont trente-six exemplaire pour M. Beyle. Ce sera sûrement, sans trôp s'avancer, moins de 100 exemplaires à l'état de brochure qui trouveront lecteurs, le reste de l’édition originale ayant été vendu pour « réemploi », en feuilles tirées à plat non cousues, à deux autres éditeurs pour la deuxième et la troisième édition d’Armance aussi rarissime l’une et l’autre.


Selon une lettre de Henri Beyle adressée à son ami et critique attentif Prosper Mérimée (cf. : Stendhal. Correspondance de Stendhal, Bibliothèque de la Pléiade, t. II, p. 824), Madame d’Aumale serait inspirée de Madame de Castrie, et Armance, de la dame de compagnie du comte Stroganof. Il s’agirait plutôt de Nadine Staeline, épouse de Raymond de Ségur (cf. : François Michel, Études Stendhaliennes, Mercure de France, 1972). Il est également possible qu'Octave de Malivert ait quelques traits de ressemblance avec l'« Indien* » Victor Jacquemont.

Stendhal songea à écrire Armance en janvier 1826 après avoir lu le petit roman de Hyacinthe Thabaud de la Touche : Olivier ; roman bâti sur une nouvelle non publiée (le manuscrit circulait dans les milieux littéraires et les salons mondains parisiens) et attribuée à la duchesse de Duras (son troisième roman), sous le titre original de : Olivier ou le Secret.

*Dixit Stendhal en référence au voyage en Inde accompli par l'explorateur français Victor Jacquemont.


Nous vous invitons à lire la page consacrée au Journal de Victor Jacquemont disponible sur notre site internet :

http://www.librairieherodote.com/pages/recits-de-voyages/test/jacquemont-voyage-dans-l-inde.html