MOLIÈRE. George Dandin, ou Le Mari Confondu
MOLIÈRE (Jean-Baptiste Poquelin de, dit).
George Dandin, ov Le Mary Confondv. Comedie. Par I. B. P. De Moliere.
A Paris, Chez Iean Ribov. au Palais, vis-à-vis la Porte de l’Eglise de la Sainte Chapelle, à l’Image Saint Loüis. 1669. Auec Priuilege du Roy.
[Imprimé chez Claude Audinet, à Paris, rue des Amandiers*, à la Vérité Royale, devant le collège des Grassins]
*Actuellement rue Laplace, (anciennement rue des Amandiers).
In-12° ; (2)-152 pp. (chiffré 155 pages par erreur pour le texte de la pièce).
Un plein maroquin janséniste rouge, dos à nerfs, filets à froid, titre or, doublures et gardes intérieures en papier marbré peigne, une large roulette intérieure dorée, tranches dorées marbrées, coiffes filetées or, un double filet or sur les coupes, reliure d’une grande finesse d’exécution signée « THIBARON-JOLY », un superbe exemplaire d’une grande fraîcheur conservé dans un très beau coffret moderne en plein maroquin rouge.
UN TRÈS BEL EXEMPLAIRE NON LAVÉ.
15 000 €
[L'EXEMPLAIRE MORTIMER L. SCHIFF RELIÉ PAR CHAMBOLL-DURU FUT VENDU RÉCEMMENT 19 000 EUROS]
THIBARON-JOLY, relieur.
« THIBARON, relieur, 97 rue de l’École-de-Médecine à Paris à partir de la fin des années 1860. Ancien ouvrier de Trautz, il s’établit et s’associa avec le doreur Joly. En 1874 l’atelier fut transféré 15 rue Guénégaud [Paris VIe arrondissement]. Leurs reliures étaient signées Thibaron-Joly. » (Cf. Flety, Dictionnaire des Relieurs Français, p. 167).
La librairie HÉRODOTE est installée au 29 rue Guénégaud Paris VIe arrondissement. Ce rarissime exemplaire a été relié vers 1880 au 15 rue Guénégaud Paris VIe arrondissement.
PROVENANCES :
– Vignettes ex-libris des célèbres bibliothèques LÉON RATTIER (ventes du 17 au 23 juin 1920) & EMMANUEL RODOCANACHI, homme de lettres et historien (catalogue I, 1934, n° 94).
(1) Léon Rattier. L'imposante collection de ce bibliophile, composée de manuscrits de poètes français, de classiques et de livres modernes en beaux exemplaires, fut conservée après sa mort dans l'abbaye de Saint-Jean d'Heurs (Meuse) aavnt d'être dispersée, au compte-gouttes, dans des ventes, notamment en 1909, 1913, 1920, 1922, 1979, 1984 et 1985.
(2) L'historien Emmanuel Rodocanachi, de l'Institut, grand bibliophile, dont la collection, où brillaient les plus rares éditions des classiques français, fut vendue en 1932, est resté célèbre par ses travaux sur Rome et la papauté.
Quelques mots sur Jean Ribou, le LIBRAIRE-ÉDITEUR en titre de MOLIÈRE.
Né en 1630, Jean Ribou fut reçu libraire en 1653. Installé sur le quai des Augustins, près de la porte du couvent, il commença à publier en 1660. Il devint l’éditeur exclusif de Molière de 1666 à 1673. Arrêté fin 1669, il fut banni 5 ans de Paris. Il reprit ses activités en 1676, mais fut à nouveau interdit d’exercer en 1689. Il mourut à Paris en mars 1702 dans sa maison du quai des Augustins. (Cf. Alain Riffaud)
BIBLIOGRAPHIE
« Il serait impossible de nos jours de réunir toutes les pièces de Molière, mêmes celles de Corneille en originales. Soyez heureux et fier si vous en avez une ou deux. » (Cf. Michel Vaucaire, Le Livre valeur de placement, p. 45).
La référence essentielle : Alain Riffaud, Répertoire du théâtre français imprimé au XVIIe siècle, n° 6918, (base de données en ligne) : http://www.unifr.ch/repertoiretheatre17/
Nous avons lu les ouvrages de référence pour leur complétude sur le sujet traité :
– Alain RIFFAUD
L'aventure éditoriale du théâtre français au XVIIe siècle
Paris, PUPS, 2018, 346 pp.
– Georges FORESTIER
Molière
Paris, Édition Gallimard, 2018, 541 pp.
Georges Forestier, professeur à la Sorbonne, est notamment l'auteur de Jean Racine (Gallimard 2006) et l'éditeur scientifique des œuvres complètes de Racine et de Molière dans la Bibliothèque de la Pléiade.
– Roger DUCHÊNE
Molière
Paris, Librairie Arthème Fayard, 1998, 789 pp.
Une narration critique sur le mythe de Molière édifié sur un monceau de légendes, un portrait dressé dans un style « aux couches épaisses », mais une vaste et juste étude malgré tout qui semble avoir été composée avec peine et effort (le libraire).
– Bertin, Catalogue de la Bibliothèque de Armand Bertin, 1854, (59 fr.) n° 878, p. 126. – Damascène Morgand, Bulletin Mensuel, n° 45, novembre 1898, n° 33992, p. 374 (catalogue comprenant exclusivement des œuvres d’auteurs français en éditions originales ou en réimpressions des origines à la fin du XVIIIe siècle. UNE RÉFÉRENCE). – Despois & Mesnard, in : Œuvres de Molière, Notice Bibliographique, t. XI, n° 25, p. 30. – Verenne de Diesbach, Six Siècles de Littérature Française, XVIIe siècle, Catalogue de Jean Bonna, n° 185. – Graesse, Trésor de Livres Rares et Précieux, t. IV, p. 566. – Guibert (C. N. R. S.), Bibliographie des Œuvres de Molière publiées au XVIIe siècle, t. I, p. 284. – Herlin, Catalogue du Fonds Musical de la Bibliothèque de Versailles, Manuscrit musical n° 89, Recueil de livret de ballets de Jean-Baptiste Lully, « Les Vieux Ballets en 8 Divertissements », [Dandin]. 3e divertissement des Vieux Ballets. – Lacroix, Bibliographie Moliéresque, n° 18, p. 17. – Le Petit, Bibliographie des Principales Éditions Originales du XVe au XVIIIe siècle, p. 301. – Rahir, p. 286. – Rochebilière, t. I, Bibliographie des Éditions Originales des Auteurs Français, n° 337, p. 173. – Tchemerzine [Scheler], t. IV, Bibliographie d’éditions originales et rares d’auteurs français, p. 790. – De la bibliothèque Charles Hayoit (I, Paris 2001, n° 79).
Lire l’intéressant commentaire d'Antoine Bret in : Les Œuvres de Molière, Paris, 1773, t. V, p. 195.
À lire également : H. C. Lancaster, Molière and Jean Ribou, Romanic Review, n° XXVIII, (1937), pp. 32-35, ainsi que : Louis Thuasne, Les Privilèges des éditions originales de Molière, Paris, Giraud-Badin, (Les Bibliographies Nouvelles), 1924, pp. 54-60.
« Précieuse édition originale (…) Cette comédie est fort rare, comme la plupart des pièces de Molière. » (Cf. Beauchamps & Rouveyre, Guide du Libraire-Antiquaire et du Bibliophile, Paris, Rouveyre, 1885, n° 184, p. 121).
Véritable édition originale séparée rarissime du livret de George Dandin ; le privilège est daté du dernier jour de septembre 1668 ; il n’y a pas d’achevé d’imprimer. Au verso liste des acteurs.
L’édition est conforme à toutes les remarques bibliographiques citées par Guibert dans sa bibliographie méticuleuse des œuvres de Molière ; le dernier cahier, signé N, est imprimé en caractères plus petits que ceux des autres cahiers (même anomalie pour le livret de la pièce L’Avare). Le feuillet 65 est numéroté par erreur 59, les pages 93 et 94 sont chiffrées 95 et 96. Les pages 95 et 96 sont chiffrées 97 et 98, etc. Soulignons que cette édition indique quelques-uns des jeux de scène qui sont si nombreux dans la pièce.
Paul Lacroix et Albert-Jean Guibert, signalent, sous la même date d’impression, une contrefaçon également d’une extrême rareté, en très petits caractères (2 ff. non ch. et 92 pp.), sans nom de libraire ni lieu d’impression.
En 1669, Jean Ribou était le libraire-éditeur en titre de Molière ; le Tartuffe, L’Avare et George Dandin sont les pièces imprimées à cette date et portent le nom de Jean Ribou. Ce dernier s’occupa entre 1666 et 1670 de la publication des comédies de Molière. (Cf. Reed, Claude Barbin Libraire de Paris sous le règne de Louis XIV, p. 19).
« Les pièces de Molière ont été, en général, si correctement imprimées la première fois, qu’on peut être sûr qu’il en surveillait lui-même avec soin la publication. » (Lacroix, Bibliographie Moliéresque, n° 18, p. 18).
Molière, un homme de lettres, un homme de scène, un génie de la comédie.
Le théâtre de cour après treize années de théâtre sur les routes de province, années fondatrices. La disgrâce du prince de Conti, Paris, la troupe de « Monsieur », frère unique du roi, Molière l’homme de cour.
Le Paris du Grand Siècle, Louis-le-Grand.
Molière et sa troupe arrivèrent à Paris au mois d’octobre 1658 et se produisirent chez « Monsieur », frère unique du roi, qui leur accorda l’honneur de sa protection et le titre de : « ses comédiens, avec pensions ». L’ancienne troupe du prince de Conti devint la troupe du frère de Sa Majesté. Une salle de théâtre leur fut attribuée par le roi, l’hôtel du connétable de France, Charles de Bourbon, confisqué avec tous ses biens après sa trahison auprès de François 1er. Le « Petit-Bourbon », son théâtre privé, était situé dans un vaste édifice qui longeait le quai de la Seine, à l’extrémité du Louvre, depuis les jardins de l’Infante jusqu’à la rue des Poulies (actuelle rue de l’Abre-Sec). Paris, enfin ! le 2 novembre 1658, après avoir joué devant le roi, les comédiens de Molière, la troupe comptait onze acteurs, donnèrent leur première représentation devant le public parisien. La comédie « L’Étourdi », qui passa pour nouvelle à Paris, eut un grand succès. En octobre 1660, suite à la fermeture et à la destruction, pour agrandissement du Louvre, du « Petit-Bourbon », la troupe s’établit au Palais-Cardinal, futur théâtre du Palais-Royal. Le retour de Molière à Paris fut un grand succès grâces à ses propres pièces comiques. À la cour, il écrivit pour le roi une série de pièces à grand spectacle, des comédies-ballets, qui lui vaudra la reconnaissance et la faveur du Roi-Soleil. Molière fut un bourgeois et un intellectuel qui ne cacha pas sa réussite. Il fut riche, adulé et contesté. Malade, il meurt jeune, le vendredi 17 février 1673, le jour de la quatrième représentation du « Malade Imaginaire » au théâtre du Palais-Royal.
Une remarque curieuse : Pourquoi Jean-Baptiste Poquelin a choisi le nom « Molière » ? Nous l’ignorons toujours.
Un paysan mal marié George Dandin.
Une pièce que le public jugea « archicomique » (Charles Robinet, collaborateur de l’officielle Gazette de l'époque).
Molière mit en scène (avec intermèdes) pour la première fois George Dandin dans le cadre du « Grand Divertissement Royal de Versailles » le 18 juillet 1668* (Lully : « 3e divertissement des Vieux Ballets »). Les décors de la salle de représentation étaient du fameux décorateur-scénographe Carlo Vigarini, « intendant des plaisirs de Louis XIV », l’un des artistes les plus appréciés à la cour de Versailles. Le vendredi 2 novembre de la même année la pièce fut jouée à Saint-Germain et le 9 novembre elle eut les complets applaudissements du théâtre du Palais-Royal. Cette comédie, l’une des plus importantes de Molière, remporta un succès vif auprès du public du théâtre de ville.
*Le 18 juillet 1668, pour le rôle de George Dandin Molière portait un habit de satin couleur de musc (une couleur brune, cf. Émile Littré, Dictionnaire de la langue Française, t. III, p. 672). À la ville, Molière portait d’ordinaire un habit noir ou un habit de couleur de musc L’information sur l’habit que portait Molière se trouve dans son inventaire après décès.
La comédie-ballet, un genre protéiforme.
« Différents schémas de comédies-ballets ont ainsi été élaborés par Molière, d'abord avec Beauchamps, puis avec Jean-Baptiste Lully, et pour finir avec Marc-Antoine Charpentier. Dans George Dandin, par exemple, les intermèdes pastoraux joués entre les actes n'ont pas grand rapport avec la comédie — si ce n'est que la partition copiée par Philidor indique quels jeux de scènes peuvent relier les deux. On retrouve partiellement ce modèle dans l'ultime chef-d'œuvre du dramaturge, Le Malade imaginaire : le premier intermède, donnant à voir et entendre la sérénade malencontreuse de Polichinelle et ses déboires avec la garde, nous éloigne d'Argan, de ses filles et de ses maladies. Il y eut même une comédie dans un ballet : celui des Muses (1667). Une comédie ? Bien plus ! Trois successivement se relayèrent au fil des représentation : la Pastorale comique, puis Mélicerte, et enfin Le Sicilien ou l'Amour peintre. » (Loïc Chahine in Diapason magazine).
Extrait :
Nous avons pris la liberté de moderniser très légèrement l’orthographe d’usage de cette première scène. Comme de juste, la syntaxe ainsi que les tours de phrase de l’œuvre originale ont été respectés.
« Ah ! qu’une femme Demoiselle est une étrange affaire, & que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les Paysans qui veulent s’élever au dessus de leur condition, & s’allier comme j’ai fait à la maison d’un Gentilhomme. La noblesse de soy est bonne ; c’est une chose considérable assurément, mais elle est accompagnée de tant de mauvaises circonstances, qu’il est très bon de ne s’y point frotter. Je suis devenu là-dessus savant à mes dépens, & connais le style des Nobles lors qu’ils nous font nous autres entrer dans leur famille. L’alliance qu’ils font est petite avec nos personnes. C’est notre bien seul qu’ils épousent, & j’aurais bien mieux fait, tout riche que je suis, de m’allier en bonne & franche paysannerie, que de prendre une femme qui se tient au-dessus de moi, s’offense de porter mon nom, & pense qu’avec tout mon bien je n’ai pas assez acheté la qualité de son mari. George Dandin, George Dandin, vous avez fait une sottise la plus grande du monde. Ma maison m’est effroyable maintenant, & je n’y rentre point sans y trouver quelque chagrin. » (Acte I, Scène I).
« Le 18 juillet 1668, Molière donna pour la première fois George Dandin à Versailles. Cette comédie s’inscrivait dans le cadre du « Grand Divertissement Royal » qui avait été préparé pour couronner une série de fêtes somptueuses le grand succès diplomatique de Louis XIV après ses victoires de Franche-Comté. Cette comédie obtint un grand succès et son passage au Palais-Royal confirma la très bonne impression qu’elle avait laissée à la cour. Molière jouait dans la pièce le rôle du Mari confondu, c’est-à-dire du mari trompé, du paysan qui avait eu le malheur d’épouser une femme légère, d’un milieu tout différent. Il est clair que Molière avait voulu, dans cette comédie, dont le fond reste tragique, malgré les réparties et les situations comiques, dépeindre en les exagérant les malheurs de son propre foyer. Les humiliations qu’il s’impose tout en déchaînant le rire par leurs outrances voulues n’en portent pas moins la marque de ses craintes et de ses propres souffrances. » (Guibert (C. N. R. S.), Bibliographie des Œuvres de Molière publiées au XVIIe siècle, t. I, p. 284).
L’un des chef-d’œuvres de la scène comique française.
Une pièce que le public jugea « archicomique » (Charles Robinet, collaborateur de l’officielle Gazette de l'époque).
En France, au XVIIe siècle, 5% de la population savait lire et écrire.
La pièce la plus osée de Molière. Trois actes en prose. L’adultère en est le sujet principal. Le mari trompé est bafoué, la femme infidèle est triomphante dans une comédie noyée sous les rires aux éclats et les larmes faisant oublier ainsi son caractère tragique et audacieux. Cependant, certains juges, des moins sévères, la trouvèrent excessive et critiquèrent vivement la farce de maître Molière.
Nous avons relu avec un immense plaisir cette « bouffonnerie » ou l’auteur excelle en homme de théâtre, en écrivain comique extraordinaire, en homme de lettres du plus haut talent.
On joue toujours George Dandin à la Comédie-Française plus d’un siècle après sa création à Versailles.
« Je fus très satisfait de ma soirée à la Comédie-Française, où je vis La Surprise de l’amour et George Dandin. La première pièce est de Marivaux ; elle fut jouée à la perfection. L’autre est de Molière, et n’est guère plus qu’une farce remplie de bouffonnerie et d’indécences. Il en va de cette comédie comme de quelques-unes des Shakespeare : c’est le nom de leur auteur qui les fait valoir […] Il faut en même temps convenir qu’on y trouve ça et là, comme dans les plus mauvaises productions de Shakespeare, des traits d’un génie véritablement comique qui les feront vivre à jamais. » (Charles Burney*, Voyage Musical dans l’Europe des Lumières, Paris, Flammarion, 1992, p. 80).
*En 1770, le compositeur, musicologue et organiste Britannique, Charles Burney, entreprit un voyage en France et en Italie, afin de s’informer de la vie musicale de son temps et de rencontrer les plus grands musiciens et les plus illustres hommes de lettres de son époque. Considérant ses voyages d’étude comme une étape préparatoire à la rédaction de sa monumentale A General History of Music, cet homme de l’art a laissé deux précieux journaux de voyage qui sont devenus, deux cents ans après leur parution, un témoignage irremplaçable ainsi qu’un observatoire privilégié d’où l’on scrute curieusement et inlassablement le XVIIIe siècle des Lumières. Charles Burney est considéré avec John Hawkins et Johann Nikolaus Forkel, comme l’un des pères fondateurs de la musicologie moderne.